Atelier de Michel Thein,
Algrange, le 3 septembre 2023.
Dans les combles, un petit espace saturé de tableaux. On a à peine la place d’y entrer.
Le ballet commence.
Des grands morceaux de lin, naturels et colorés, souples et translucides, sont tendus sur de frêles châssis. Ils sont couverts de centaines de petits carrés de couleur soigneusement organisés. Michel manipule les toiles pour que nous puissions les regarder. À chaque mouvement, elles se gonflent comme les voiles d’un bateau. Un moment gracieux et suspendu, tout comme le sont les instants qui font naitre le désir de se mettre au travail, habité par un texte, un film, un tableau.
Dans l’urgence et dans les entres du quotidien. Vite avant que. Vite après que. Dans une pièce restreinte, où il faut tout mouvoir en permanence. Pousser, déplier, poser pour faire. Déplacer, sortir, reculer pour voir. Michel s’active en équilibriste. Il déploie son travail dans les plis du temps et de l’espace.
À peine faite, séchée, déjà rangée, comme si de rien n’était, les toiles continuent silencieusement de s’amonceler. Une nouvelle est tendue.
La grandeur de l’atelier, l’ampleur possible des gestes et les dimensions du tissu trouvé, déterminent le format des tableaux. C’est encerclé, à bout de bras, au bord de la trame, le dos collé à la limite de ce champ volontairement resserré, que le travail se fait. Il s’étend entre deux parenthèses.
Les promenades avec son chien Rumi viennent ponctuer le quotidien. L’allure, la cadence des pas, les battements du coeur qui accélèrent, les rythmes de la nature qui se déroule sous les yeux et les pieds, donnent le tempo qui compose les toiles méditées en cheminant.
Michel se plaît à brouiller les pistes. Camoufler, ôter le signe du signifiant pour qu’il ne reste que sa trace, sa sensation, son empreinte frémissante, l’écho qu’il produit en nous. Comme une écriture raturée, où chaque lettre devient un petit carré coloré, où seul le rythme des mots compte, et leur son qui raisonne dans nos têtes et dans nos corps. Les carrés donnent à leur tour la mesure. Ils forment une cartographie, le dessin d’un par- cours ou celui d’un géoglyphe.
Et l’on se perd. Face au tableau plus de repère. On navigue dans le flou produit par la vibration des couleurs choisies pour leur effet combinées. Une sensation d’espace nous saisit alors. L’infini s’ouvre là. Et l’on se baigne dans son épais brouillard.
-Sabrina Vitali-